samedi 15 mai 2010

Marie-Claire Blais : Une saison dans la vie d'Emmanuel

Après avoir été refusé par plusieurs éditeurs québécois, Une Saison dans la vie d’Emmanuel est heureusement publié aux Éditions du Jour, en 1965, et reçoit l’année suivante le prestigieux prix Médicis. Marie-Claire Blais – qui montrait déjà, à 27 ans, une maîtrise extraordinaire de l’écriture – y met en scène une famille nombreuse, condamnée à l’ignorance et à la pauvreté. Le roman s’ouvre alors que vient de naître un seizième enfant, parmi une progéniture décimée, année après année, par la maladie et les mauvais traitements. Issus d’une mère épuisée, qui n’est guère plus qu’une ombre dans la maison, et d’un père violent, les enfants trouvent consolation chez leur étrange Grand-Mère Antoinette.

S’il donne son titre au roman, Emmanuel n’est est pas moins une figure essentiellement symbolique : un poupon dans son berceau qui vient remplacer un défunt, et qui sera le prochain à subir les coups de canne comme les mamours de Grand-Mère Antoinette. Le héros, si on peut l’appeler ainsi, c’est son grand frère Jean-Le Maigre, écrivain déchu, frère d’âme du poète d’Une saison en enfer.

Lorsqu’elle écrit Une saison dans la vie d’Emmanuel, Marie-Claire Blais vit dans une chambre minable à Cambridge, dans les relents de la guerre du Vietnam et de l’assassinat de Kennedy. Et comme elle l’explique dans un de ses carnets (Parcours d’un écrivain, 1993), les injustices qui nourrissent son écriture dépassent alors largement le cadre du Québec. “Je ne sais d’où viennent Jean-Le Maigre et sa famille mais pendant que j’écris le roman avec tant de peine, je sais qu’ils existent quelque part. Qu’il me faut parler d’eux pour adoucir la fatalité de leurs destins (…) ils ont été victimes de l’ignorance et de l’oppression religieuse. Ils ont été violés et tués et continuent de mourir tous les jours.”

Accueilli comme un chef-d’œuvre par certains, comme une hérésie par quelques autres, Une Saison dans la vie d’Emmanuel est fait de désespoir, d’abus, d’instants d’hallucination et de désirs tués dans l’œuf. “Toi aussi tu seras battu si tu poses trop de questions, explique Grand-Mère à Emmanuel. Vaut mieux te taire et aller couper du bois comme les autres.”