jeudi 31 décembre 2009

Lydie Salvayre: BW

Le 15 mai 2008, celui que dans le livre j'appelle BW perd brutalement l'usage de ses yeux.

Dans l'urgence de parler pour tenir tête au désarroi, BW me livre alors tout ce qu'il a gardé secret durant nos années de vie commune : ses fugues, ses frasques, ses trekkings dans l'Himalaya, sa fulgurante carrière de coureur à pied, les souvenirs obsédants d'un Liban déchiré par la guerre, autant d'expériences, autant de détours qui l'ont conduit, il y a trente ans, à travailler dans l'édition.

Car BW est éditeur, et la littérature, sa vie.

Avec une ironie désenchantée, il me parle, le jour, de ses quinze existences passées, de son métier déraisonnablement aimé et de sa décision, mûrie dans le noir, de tirer sa révérence devant les mœurs éditoriales qui lui sont peu à peu devenues étrangères.

Je compose, la nuit, le texte dont il est le centre, avec le sentiment que son geste de quitter ce que d'autres s'acharnent à rejoindre revêt aujourd'hui un sens qu'il faut, à tout prix, soutenir.

Tous deux nous nous sentons poussés comme jamais par une nécessité impérieuse. Pour lui, celle de dire ou de sombrer. Pour moi, celle d'écrire ces mots-là, et aucun autre.

Ce livre, écrit à vif, est le roman de cette traversée.

Lydie Salvayre

mercredi 30 décembre 2009

Jacques Cabau: La prairie perdue. Le roman américain

En perdant la Prairie, l'Amérique a trouvé son roman et perdu son idéal. Paradoxe puritain dont naît la littérature et meurt le libéralisme américain. Sur ce thème de l'innocence perdue, le Nouveau-Monde s'est donné une épopée que lui envie l'ancien.

Cette anatomie du roman américain n'est pas seulement une étude littéraire, mais une recherche des faits sociaux, politiques et psychologiques qui expliquent l'évolution du roman américain de Cooper à Updike, de Mark Twain à Truman Capote, de Melville à Nabokov ou Styron. L'auteur ne néglige par ailleurs ni romans policiers, ni best-sellers, ni science-fiction, pour mieux faire comprendre comment le roman américain est la voix d'un peuple tout entier.

mardi 29 décembre 2009

Camilla Läckberg: Le tailleur de pierre

"La dernière nasse était particulièrement lourde et il cala son pied sur le plat-bord pour la dégager sans se déséquilibrer. Lentement il la sentit céder et il espérait ne pas l'avoir esquintée. Il jeta un coup d'œil par-dessus bord mais ce qu'il vit n'était pas le casier. C'était une main blanche qui fendit la surface agitée de l'eau et sembla montrer le ciel l'espace d'un instant.

Son premier réflexe fut de lâcher la corde et de laisser cette chose disparaître dans les profondeurs..."

Un pêcheur de Fjällbacka trouve une petite fille noyée. Bientôt, on constate que Sara, sept ans, a de l'eau douche savonneuse dans les poumons. Quelqu'un l'a donc tuée avant de la jeter à la mer. Mais qui peut vouloir du mal à une petite fille?

Alors qu'Erica vient de mettre leur bébé au monde et qu'il est bouleversé d'être papa, Patrik Hedström mène l'enquête sur cette horrible affaire. Car sous les apparences tranquilles, Fjällbacka dissimule de sordides relations humaines - querelles de voisinage, conflits familiaux, pratiques pédophiles - dont les origines peuvent remonter jusqu'aux années 1920. Quant aux coupables, ils pourraient même avoir quitté la ville depuis longtemps. Mais lui vouer une haine éternelle.

mercredi 23 décembre 2009

Monica Charlot, Roland Marx: Londres, 1851-1901. L'ère victorienne ou le triomphe des inégalités

Une impression d'immensité et d'écrasement. Le bruit, les odeurs, la foule, la violence des contrastes. L'argent et la misère, Belgravia et Whitechapel.

1851. Plus grand port du monde, Londres est la métropole impériale d'une Angleterre orgueilleuse et la Babylone enfouie d'une société insultante, inégalitaire. Les grandioses fêtes impériales et les "saisons" des gens biens nés apportent à la cité des brumes un éclat de rêve pendant que Sherlock Holmes traque dans les bas-fonds crimes et perversions, révélant ainsi aux nantis la profondeur de leurs peurs.

Ville de tous les luxes, de toutes les déchirures, Londres est, entre 1851 et 1901, le révélateur de la supériorité écrasante du Royaume-Uni, première nation industrielle, et le creuset d'une société conformiste, aux pulsions inavouées. Elle préfigure d'autres ruptures, d'autres inégalités plus proches de nous.

samedi 19 décembre 2009

Daniel Wallace: Big Fish. Roman aux proportions mythiques

"Les gens qui ont rendez-vous avec lui procèdent ainsi: ils se débrouillent pour savoir où il sera tel jour, calculent qu'un conducteur aussi lent restera dans les parages jusqu'à la fin de la semaine, puis prennent un avion pour l'aéroport le plus proche. Une fois arrivés, ils louent une voiture et roulent jusqu'à ce qu'ils l'aient rattrapé. Ils le dépassent et klaxonnent, mon père se tourne lentement vers eux (à la façon dont Abraham Lincoln aurait tourné la tête s'il avait jamais conduit une voiture, parce que, dans ma tête, dans le souvenir qui s'est logé imperturbablement dans mon cerveau, mon père ressemble à Lincoln, cet homme aux longs bras, aux poches profondes et aux yeux sombres) et il leur fait signe. Il s'arrête, et celui qui a besoin de lui parler vient prendre place à côté de lui, l'adjoint ou l'avocat s'assied à l'arrière, et, tout en roulant sur ces superbes routes vagabondes, ils concluent leur affaire. Et, qui sait, peut-être a-t-il même des liaisons amoureuses dans cette voiture, des idylles avec des femmes splendides, des actrices célèbres..."

Imaginez un père extraordinaire ; imaginez des histoires à dormir debout qu'il vous ramène des quatre coins du monde, imaginez un héros mythique dont les berceuses sont comme autant d'épopées ; imaginez un homme incapable de rester sérieux plus de quelques secondes ; et puis, à l'heure de son dernier voyage, soudain, vous ne savez plus trop lequel de vous deux joue à faire l'enfant.

dimanche 13 décembre 2009

Alexandre Farnoux: Cnossos. L'archéologie d'un rêve

1900: un richissime Anglais, sir Arthur Evans, retrouve à Cnossos, en Crète, le légendaire palais-labyrinthe du roi Minos. D'un pléthorique bric-à-brac - fresques, céramiques, tablettes d'argile couvertes d'écritures inconnues - Evans recrée une immense civilisation, totalement originale. Un monde florissant et pacifique qui, voici quelques quarante siècles, bien avant Mycènes, rayonne sur toute la Méditerranée. Alexandre Farnoux retrace pas à pas le travail rigoureux et inspiré d'Arthur Evans qui restera, au regard de l'Histoire, le magicien de Cnossos.

samedi 12 décembre 2009

Serge Eyrolles: Les 100 mots de l'édition

Première industrie culturelle en France, l'édition reste un secteur largement méconnu, discret voire mystérieux pour beaucoup. Il est vrai que les éditeurs eux-mêmes préfèrent parler de leurs auteurs et de leurs livres que de leur métier.

En rassemblant un large spectre de notions, concernant tant les métiers que les organismes qui participent à la vie de l'édition, Serge Eyrolles met au jour dans cet ouvrage les rouages de la chaîne du livre. D'"ADELC" à "ventes couplées", depuis le "manuscrit" jusqu'aux pratiques de "lecture", il dresse un état des lieux de l'édition d'aujourd'hui et analyse ses principaux défis pour demain.

vendredi 11 décembre 2009

Emily Dickinson: Lieu-dit L'éternité

Ce volume réunit plus de cent cinquante poèmes de l'une des plus grandes poétesses du 19e siècle. Hantée par le néant, Emily Dickinson n'a eu de cesse de questionner la nature, la folie, la foi, l'amour et la mort. Sa poésie, habitée de fulgurances mystiques, joue autant de la gravité que de l'ironie, de l'émerveillement que de la dérision, mêlant sentiments intimes et thèmes universels avec une audace stylistique et rythmique d'une modernité saisissante.

mercredi 9 décembre 2009

Didier Lauras: Saigon. Le chantier des utopies

Assoupie pendant plus de quinze ans, depuis l'arrivée des communistes en 1975, Saigon se réveille Hô Chi Minh-Ville au milieu des années 90, bousculée par l'ouverture vers l'extérieur, l'influence occidentale, la ferveur de sa communauté chinoise et l'énergie de son adolescence. On peut désormais y faire commerce, ouvrir des magasins, lécher les vitrines et consommer la vie. On continue pourtant de panser les plaies, ménager les vieux leitmotive et contrôler les consciences.

Entre la levée de l'embargo américain et le VIIIe congrès du Parti communiste vietnamien (1994-1996), Saigon tente d'évacuer ses vieilles obsessions, appréhende le lendemain à défaut d'apercevoir le surlendemain, et s'adonne enfin sans complexe à l'ivresse de la convoitise.

Loin des mythes qui s'étaient emparés de l'image de la ville, ce récit en propose une découverte minimaliste, au ras des trottoirs et du quotidien des petites gens. Un hôtel de luxe, quelques avenues, des fêtes, des hommes, des femmes se sont laissés prendre par un regard qui voudrait saisir l'essentiel en s'arrêtant sur l'anecdote. Les différentes personnes qui ont accepté de se livrer sont les véritables auteurs de cet ouvrage. Elles ont fait le tri entre ce qui devait être dit et ce qu'elles préféraient taire. Le plus souvent, elles ont délaissé le commentaire et l'analyse et se sont simplement racontées. Sans artifice ni fausse pudeur, avec plus ou moins de recul ou de lucidité.

Ce livre se veut une chronique urbaine dans laquelle les murs comptent autant que les hommes, l'histoire pèse autant que le futur, les utopies parlent autant que les mensonges. Saigon n'est guère une ville qui s'explique, s'analyse et se laisse prévoir. Tout au plus, elle se vit, se respire, s'appréhende et se regarde.

dimanche 6 décembre 2009

Xavier Fauche: Roux et rousses. Un éclat très particulier

L'Apocalypse de Saint-Jean rapporte que quand l'agneau ouvrit le deuxième sceau, il en sortir un cheval roux dont le cavalier reçut le pouvoir d'ôter la paix de la terre. Cette allégorie traduit de manière flamboyante l'ambivalence que la tradition a, de tout temps, prêtée aux roux. Gloire et opprobre à la fois, violence destructrice et trésor caché, l'image du roux fut toujours et d'abord celle de l'excès. Au 19e siècle, puritain et bourgeois, l'opprobre l'emporte: roux et rousses sont souvent voués aux gémonies. Inversement, notre époque valorise la singularité et bien des héros littéraires, publicitaires ou de bandes dessinées sont roux. Qui sont-ils, ces hommes et ces femmes que la seule couleur de leurs cheveux stigmatise? Ont-ils réellement une identité en tant que groupe? A travers cette quête qui prend la forme d'une traque, pleine de surprises et d'humour, Xavier Fauche décrit aussi de l'intérieur la place symbolique de toute minorité. Celle qui, en dernière instance, ne se définit que par le regard que les autres portent sur elle.

samedi 5 décembre 2009

Vladimir Maïakovski: Le nuage en pantalon

Avec Le nuage en pantalon (1914/1915), de Vladimir Maïakovski, le futurisme, en pantalon de nuage annonciateur d'orage et en blouse jaune tournesol, fait son entrée fracassante sur la place publique et la scène littéraire de la Russie...

Pour tout homme qui aime et qui espère, les paroles de Maïakovski restent gravées en lettres de feu dans la chair et le sang de ce siècle.

Virginia Woolf: Mrs Dalloway

Tôt le matin, tard le soir, Clarissa Dalloway se surprend à écouter le clocher de Big Ben. Entre les deux carillons, une journée de printemps, une promenade dans la ville, le flux des états d'âme et le long monologue d'une conscience.

Clarissa tente "de sauver cette partie de la vie, la seule précieuse, ce centre, ce ravissement, que les hommes laissent échapper, cette joie prodigieuse qui pourrait être nôtre". Et pourtant résonne déjà dans ce livre, le plus transparent peut-être de l'œuvre de Virginia Woolf, comme la fêlure de l'angoisse ou le vertige du suicide.

Gousset, Tixerant, Roblot: Les produits de la pêche. Identification des espèces, qualité des produits

Il y a trente ans, la Direction de la Qualité du Ministère de l'Agriculture avait jugé utile de mettre à la disposition des agents chargés de l'inspection sanitaire des produits aquatiques un document simple pour identifier les principales espèces du marché et juger de leur état de fraîcheur. Ce document intitulé Produits de la pêche vient d'être actualisé et enrichi en tenant compte :

- d'une part, du fait que les agents des Services vétérinaires se sont vu confier l'inspection sanitaire de tous les animaux aquatiques : poissons, mollusques et crustacés principalement, ainsi que des produits dérivés livrés à la consommation humaine,
- d'autre part, de la mondialisation des échanges commerciaux qui met à la disposition du consommateur français de nombreuses denrées nouvelles de toute provenance géographique. Tout en préservant la présentation simple et précise du document de base, les auteurs ont introduit près de 150 espèces nouvelles, et ont présenté l'assurance qualité et les problèmes sanitaires actuels que posent les produits de la pêche et de l'aquaculture. L'ouvrage, abondamment illustré, concentre un important capital d'expérience et de savoir, il est complété par un CD-ROM qui permet d'accéder facilement à une fiche espèce.


mardi 1 décembre 2009

Marguerite Duras: L'homme assis dans le couloir

L’homme assis dans le couloir est un long poème, une longue phrase qui ne finirait jamais. Un homme et une femme se perdent dans le désir. Le désir qui les brûle jusqu’à l’obsession et puis la honte et puis les coups. Ce poème est une longue traversée de l’intime, l’intime des corps avant la parole. Avant la possibilité de dire et donc avant la pensée.

Le texte est explicite, il est comme un fantasme dans cette rencontre. Ce texte, c’est la fulgurance, la force du corps, la force d’une langue abrupte et poétique.

Cette histoire peut ne pas avoir été vécue, elle a pu être fantasmée, rêvée; alors ce serait dans un climat tropical, à l’endroit de la mousson, un après-midi d’été juste avant l’orage.

Mais ce texte est aussi une métaphore sur le théâtre, en ce sens où cet amour n’existe que parce qu’une femme, l’auteur, les regarde. Il n’y a de théâtre que parce qu’il y a un spectateur, un œil qui le regarde. La jouissance serait-elle aussi forte si ce regard n’était pas là ? Et puis elle demande à être frappée, la jouissance serait-elle aussi totale sans cette "exécution"?

Chez Duras, il y a la mousson, l’amour fou, la brûlure, la possession infinie.

Des êtres sans début et sans fin… à cet endroit de la perte de soi-même.